«Dans ce monde étrange du show-business ou quelques fausses valeurs et beaucoup de marchands de vents circulent et s’agitent avec un aplomb qui me laisse parfois songeur, je connais un monsieur distingué dont le physique ressemble d’avantage à ceux qu’on rencontre a l’Ecole Nationale d’Administration qu’à ceux des coulisses du Music-hall. Franck Pourcel est la discrétion, la modestie même. Et pourtant sans bruit, sans battage, cet homme tranquille à la silhouette de jeune premier a enregistré et vendu dans sa vie plus de disques que plusieurs vedettes françaises réunies.Sa carrière est mondiale: de «Limelight» et «Blue Tango» a l’hymne à «Concorde», en passant par «Only You», il est le premier chef d’orchestre à avoir réussi aux Etats-Unis. Je ne désespère pas de l’accueillir un jour sur le plateau des Rendez-vous du Dimanche avec ses 80 musiciens.»
Michel Drucker parlait ainsi de Franck dans les années 70, avant de l’inviter a deux reprises à la télévision avec son orchestre, dans Stars 81 et dans Champs-Élysées en 1984. Michel aimait raconter l’histoire de mon père, que l’on a longtemps pris pour un Américain, il aimait raconter l’ascension de» l’homme tranquille des variétés françaises.»
Franck Pourcel était son vrai nom: un nom d’origine italienne, un prénom en hommage a César Franck. Il est né à Marseille un 11 août 1913, (mais déclaré le 14!!), d’un père chef mécanicien, mais également musicien dans la musique des Equipages de la Flotte à Marseille.C’est lui qui lui donne ses premiers cours de solfège, dès l’âge de six ans. Franck se prend de passion pour la musique, étudiant le violon au Conservatoire de Marseille où il obtient le Premier Prix a l’âge de 16 ans, mais aussi la batterie car il est fan de jazz. Puis il travaille un an au Conservatoire de Paris.
«Mon rêve était de devenir un grand soliste. Apres les études et le service militaire, j’ai été oblige de travailler pour gagner ma vie».
Il revient a Marseille où il travaille dans des théâtres, dont l’Opéra, et la nuit il joue de la batterie dans des cabarets. Ce qui expliquera plus tard les caractéristiques de ses orchestrations à base de cordes et de percussions.
En 1939, il se marie avec Odette.
Durant cette période, Franck accompagne des chanteurs, dont Yves Montand puis est engagé pour 3 mois par Bruno Coquatrix, le futur patron de l’Olympia de Paris, comme accompagnateur de Lucienne Boyer, en fait il restera 8 ans et fera le tour du monde avec elle. Mais son rêve etait de monter un orchestre.
Entre le rêve et la réalité, il y a beaucoup de difficultés et les portes des maisons de disques se ferment devant lui: “A l’époque, avoir 50 musiciens relevait de la folie, mais j’y tenais. Devant les multiples refus, je suis parti aux Etats-Unis”
Nous émigrons tous à New York en 1950, et entre 2 petits cachets, et l’attente de sa carte de l’Union des musiciens qu’il obtiendra, il cherche la maison de disque qui produira son orchestre.
Mais c’est un producteur français Maurice Tézé qui l’appellera un jour de 1952 pour lui demander de rentrer à Paris et d’enregistrer un premier disque «Tango Bleu» et ensuite «Limelight».
On le prend pour un Américain, label de super qualité a l’époque, et il est aussitôt lancé. «Je me serais appelé Marius Pourcel (son second prénom) ma carrière aurait peut-être tourné court» disait-il en riant et avec l’accent !.
C’est le début de sa longue carrière, et tous les chanteurs français veulent être accompagné par ” L’Américain” : Aznavour, Tino Rossi,Gloria Lasso, Bécaud, Montand, Trénet, Danièle Darrieux et plus tard j’ai vu un jeune acteur qui venait de débuter dans West Side Story, sonner à la porte pour faire un disque avec Franck: George Chakiris.
Franck faisait lui-même ses arrangements, c’était un perfectionniste. Il croyait en la versatilité du violon et ses énormes possibilités. Prononcer le mot «violon» touchait son cœur: “Pour moi le violon est l’instrument le plus proche de la voix humaine. Je ne le joue pas, je le fais chanter. Il devrait être considéré comme un instrument vocal, un instrument qui parle au cœur de l’homme». Tout passait entre ses mains lorsqu’il réalisait un album:le choix des titres, le studio, les musiciens, le mixage, le montage, la composition de la pochette, il avait un souci extrême du point de détail le plus infime, qu’il s’agisse de musique comme de graphisme ou de promotion.
Les musiciens le redoutaient, ils disaient qu’il était parfois tyrannique tellement il était exigeant.
Entre 1954 et 1957, les disques s’enchaînent: au total 9 albums de 10 titre en 3 ans. Il crée la série Amour Danse et Violons, qui comportera 54 albums.
Les Américains s’intéressent à ce frenchie et il retourne à Hollywood chez Capitol records, pour enregistrer des disques uniquement pour le marché américain, comme Our Paris, French Touch, French Sax, Rainy night in Paris, French Wine-Drinking Music et La Femme, album qui fit scandale car la pochette montrait une femme nue, et l’intérieur était parfumé. C’est «Franck Pourcel and the French Fiddlers», «Franck Pourcel and his Parisian strings» ou encore «The Rockin’ strings orchestra» !!
En 1957, il enregistre sa version du grand succès des Platters ONLY YOU sur l’album L’INIMITABLE. Le titre sort aux USA en 1959. Toute ma vie je me souviendrai de mon père arrivant à la Tour Capitol à Hollywood, lieu mythique. Le disque était diffusé en fond sonore dans tous les bureaux, mais il était mal gravé et ne tournait pas très rond. J’ai cru ce jour là qu’il allait tout casser dans les bureaux tellement il était furieux ;, mais les gens de la maison de disque lui ont fait comprendre qu’il allait avoir un gros succès: il a vendu plus de 3 millions d’exemplaires, sera classé à la 9e place au Billboard américain, où son disque restera 16 semaines !! Il deviendra le premier chef d’orchestre européen à vendre plus d’un million d’albums aux USA.
En 1958, il décide d’enregistrer un album de Valses Viennoises, puis vient l’idée de toucher son vaste public populaire avec des mélodies classiques, connues de tous, afin de faire aimer le classique à des non- spécialistes.
La série Pages Célèbres est créée et Franck se retrouve en tête des ventes classiques de EMI France, il fait découvrir la musique classique à ceux qui l’avaient ignorée jusqu’alors. Il enregistrera 17 albums de cette série, et en 1979, suivant l’évolution des techniques d’enregistrement, cette série deviendra Classiques en Digital.
Il enregistre avec les plus grands orchestres du monde comme le London Symphony orchestra, le London Philarmonic, l’orchestre des concerts, Lamoureux, l’orchestre de la BBC…..
Adapter les grands succès du jour où les grands classiques est, disait-il «un travail délicat car il faut savoir doser les effets. De formation classique, je suis persuadé que si Mozart ou Beethoven revenaient aujourd’hui, ils écriraient leurs œuvres différemment. Pour eux, comme pour les variétés, je fais une sorte de traduction, selon mon style, et je ne pense pas pour autant les trahir. Je fais souvent la comparaison entre la musique et la cuisine. Pour un plat, chaque chef peut apporter un petit plus, le nom reste, mais le goût est parfois différent. Même chose avec une partition. Il suffit de bien la travailler. J’ai eu la chance de gagner ma vie en interprétant les morceaux des autres- à ma façon. Je les arrange (ou les dérange) et les compositeurs originaux sont contents».
«Franck a l’art d’anoblir les mélodies les plus simples…Entrer dans sa musique, c’était et c’est toujours entrer au Panthéon !» a dit Salvatore Adamo dont Franck a enregistré une douzaine de chansons.
Certains de ses musiciens ont fait leur propre carrière: ” Michel Legrand jouait du piano, il était alors très jeune, J’ai eu Raymond Lefèvre, Paul Mauriat et Jean-Claude Casadessus, percussionniste a l’époque dans mes disques classiques.»
De 1956 a 1972 il est le chef d’orchestre attitré de la France au Concours eurovision de la chanson, et il fait de nombreuses tournées au Japon, aux USA, en Amérique du Sud et les télévisions du monde entier lui consacrent plusieurs shows.
Homme discret, il n’a jamais fait grand étalage de sa vie professionnelle et personnelle. Sa maison de disques a toujours eu de grandes difficultés à lui écrire une biographie mentionnant le nombre de disques vendus (qui atteindraient plus de 20 fois la hauteur de la Tour Eiffel !), ou le nombres de trophées comme le Grand prix du disque en France, au Bresil, Prix Edison, Prix de l’Academie Charles Cros, Grand prix de la polularite en Amerique su sud……, ou disques d’or obtenus dans les 58 pays du monde dans lesquels ses disques étaient distribués.
Il était fier de ses disques d’or, mais ne les exposait pas. Il a pulvérisé tous les records de ventes des Grandes formations européennes, sans bruit, sans battage publicitaire, sans histoire. Il préférait être de dos au public pour diriger son orchestre plutôt que d’être reconnu dans la rue.
Il mettait rarement son visage sur les pochettes de disques, seulement au verso car «Pour connaître un visage, il faut faire de la télévision ou du cinéma. On connaît mon nom, j’ai été le premier à faire ce genre de musique en Europe»
Néanmoins, je l’ai vu en 1984 au cours de l’élection de Miss Mexico au Mexique, il était Président du Jury, et il a provoqué une émeute parmi les Miss qui voulaient toutes s’asseoir sur ses genoux ! Il n’avait pas l’air mécontent !
Les disques ne Franck ont été exportés dans 58 pays du monde: ” Je vais surprendre bien des gens. Je suis le premier produit français d’exportation pour les disques- depuis 20 ans (en 1982). La musique est plus facile à exporter que le chant. Quand je fais un disque en France il peut sortir le lendemain à Yokohama ou a Los Angeles, il n’y a pas de version locale à enregistrer».
Je me souviens qu’en 1975, Franck a composé l’hymne du Concorde: Air France l’avait choisi car il était considéré avec Air France et Brigitte Bardot comme l’un des 3 «produits» français les plus exporté au monde !
Franck a composé quelques musiques qu’il a enregistrées sur ses disques, mais rarement, car il n’aimait pas trop ses compositions ! La plus célèbre, Chariot, a commencé comme une plaisanterie. Il avait composé cette chanson avec ses copains Paul Mauriat et Raymond Lefèvre, avec des paroles de Jacques Plante. A l’époque en 1962, tout ce qui venait d’Amérique, valait de l’or, et ils ont pris un malin plaisir à prendre les pseudonymes Stole/Del Roma pour présenter cette chanson, thème du grand western produit par la 20th Century Fox:»You’ll never see it» (Vous ne le verrez jamais). Petula Clark, influencée, a enregistré la chanson, et fait un énorme succès.Aux USA la chanson a été enregistrée par une chanteuse de 15 ans Little Peggy March. Sa version a été numéro 1 au Billboard toutes catégories pendant 3 semaines. En 1992, «I will follow him» est devenu le thème principal des films Sister Act 1 et 2 avec Whoopie Goldberg, et plus récemment, Eminem a repris le refrain dans Guilty Conscience.
En 2016 “I will follow you” interprèté par Toulouse est utilisé par Apple dans sa campagne publicitaire de l’iPhone 7.
A partir de 1968, Franck travaille avec Claude-Michel Schönberg, alors directeur artistique chez Pathe-Marconi. Une grande amitié personnelle et professionnelle se créée, et Franck produit le fameux succès «le Premier Pas” et tous les autres albums de Claude-Michel.
Une vedette de show-biz, presque malgré lui, des concerts dans le monde entier, quelque 200 albums enregistres, plus de 3000 titres à son répertoire, voilà qui était Franck, mon père.
Il disparaît le 12 Novembre 2000, mais des milliers de fans de par le monde m’envoient des messages, et je veille à ce que son catalogue soit toujours représenté dans le monde entier.
«À l’écoute de ce ménétrier de paradis, j’ai compris pourquoi les luthiers appelaient l’âme, le corps des violons…»
Le mot est de Jean Cocteau et le ménétrier en question s’appelait Franck Pourcel !
Françoise Pourcel